interview

SOU(f)FRE
Rencontre avec Euryale et Jim The Axe de l’étonnant groupe SOU(f)FRE. Ils nous parlent de leur EP “Devotion/ Connexion”. Un combo à suivre de près…


Présentez nous Sou/f/Fre, qui êtes vous et pourquoi ce nom de groupe ?
E: Soufre en plus d’un projet musical, c’est avant tout un projet artistique complet. L’origine du nom du groupe vient de l’origine du mot Souffre. L’injonction Souffre, l’ordre Souffre. Avec le F central qui symbolise la souffrance intérieure qui va vers le Soufre, avec un seul F, la substance qui est plutôt une forme d’explosion. Donc, en fait, de la souffrance intérieure qui crée une explosion. Ici, une explosion créative et artistique. Le nom m’a sauté un jour, comme ça, à la gueule. C’était dans des moments de transition dans ma vie artistique tout autant que celle de J: On s’est croisé à ce moment-là et on s’est dit qu’on allait partir dans ce projet. Même chose pour le batteur, Léo, qui est quelqu’un avec qui je fais de la musique depuis longtemps. Une personnalité extraordinaire et un mec super chouette. Et par la suite, on a été rejoint par Valère à la basse. Au-delà des compétences, l’idée est d’avoir des gens très humains pour vivre une aventure humaine et artistique.

"Devotion Connexion" est votre premier EP. Dans quel monde vous nous emmenez, car ce n’est pas notre monde ?
J: C’est un peu notre monde. Sous le fait d’apparence d'hyper connexion, d’avoir l’impression de pouvoir faire tout ce que l’on veut, c’est le contraire, on est très séparé les uns des autres, chacun dans son petit confort personnel, dans son cocon. On se parle de moins en moins en face…
E: D’ailleurs l'œil de la pochette, c’est l'œil du processeur. C’est pour que les gens prennent conscience qu’on regarde plus souvent à travers un processeur qu’à travers l’iris d’une pupille. Et je ne suis pas sûr que l’humanité soit taillée pour ça. L’univers dans lequel on veut plonger les gens, c’est celui du sacré, du déictique, une secte de la souffrance. Et aujourd’hui, la souffrance vient de cette hyper connexion. 

C’est vrai que très souvent les gens regardent un concert à travers leur portable…
J: Et, encore, dans le métal, on a de la chance, les gens sont encore raisonnables. Ils enregistrent des vidéos que personne ne va regarder .
E: Oui je suis assez d’accord avec toi. D’ailleurs on utilise le terme d’écran et pas tellement celui de téléphone car avant l’écran c’était la télé, et quoi qu’il arrive les gens se fantasment des choses à travers une barrière. Sauf que l’écran a évolué jusqu’à ce que l’on a maintenant. Je ne sais pas si on pourra faire mieux. Après, je ne sais pas si on peut faire pire que cet objet, petit, qui ne prend pas de place et qui te permet autant de choses. Et surtout qui te cloisonne, qui te met des œillères.
J: On trouvera bien un moyen de te l’intégrer dans la tête !!
E: Ah peut-être. Les implants, les greffes… Ça fera peut-être l’objet d’un album !
J: Le nombre de gens qui sont en face l’un de l’autre et qui ne se parlent pas. Ou à travers leur écran…
E: C’est bien la plus belle preuve de dévotion que tu as à ton écran. Tu es dévoué à la connexion que tu as avec les autres. Mais pas une connexion physique, mais une connexion virtuelle qui n’a pas beaucoup de sens. L’humanité s’expérimente dans des échelles de grandeur dont elle n’a pas l'habitude. On échange des informations, des fichiers et de la connaissance trop vite. On voyage trop loin. On consomme trop. On est dans excès partout. 

Des titres de chansons qui peuvent paraître étranges, je pense à "Esclave Heureux" par exemple qui peut être un oxymore. Vous pensez qu'on se complait dans cette situation ? 
E: Je pense que oui. Qu’il est plus facile de se complaire dans cette situation. "Esclave Heureux" il y a un message ambivalent. Quand tu le lis au premier degré, tu te dis “Je suis heureux”, n’ouvrez pas les yeux et foutez moi la paix avec ce monde. Soit tu y lis une critique cynique, un constat: “Si c’est ça, ne m’ouvrez surtout pas les yeux” ! Chacun va pouvoir le lire un peu comme il veut. On a tourné le clip dans ce sens-là. Le clip est un esclave qui se libère au fur et à mesure. D’abord son cœur et son cerveau, ensuite de l’emprise qu’à la télé sur lui, puis de sa relation amoureuse, de son rapport au travail. On a tourné ça dans ce sens-là, mais on a fait le montage à l’envers. On a voulu montrer l’emprise que le travail et le numérique peut avoir sur toi.

Pourquoi ce choix de chanter en français, alors que beaucoup de groupes préfèrent chanter en anglais ?
J:  Chanter en français n’est pas une chose revendiquée. Chanter dans sa langue maternelle est un choix naturel. Quand j’écoute un groupe qui chante en français, j’ai beaucoup plus d’émotions par rapport à un groupe qui chante en anglais, même si je comprends la langue. Je trouve que c’est plus honnête de chanter dans sa langue. 
E: Toutes tes émotions, tu les exprimes en français. Quand tu tombes amoureux tu dis “Je t’aime” pas “I love you”. C’est la langue de tes tripes, la langue de l’immédiat. Le problème actuellement c’est que le métal en français a une image “franchouillard”. Nous, on veut faire du métal moderne, mais dans notre langue. 

Beaucoup de recherches dans les textes. Une écriture lyrique, ça a dû demander beaucoup de boulot tout ça? Qu’est ce qui vous a "motivé" d'écrire de cette façon originale ?
E: Effectivement, je ne te cache pas que ça a été un gros boulot. Le Petit Robert est mon ami (rire).  C’est Baudelaire qui a été ma première référence et qui m’a fait prendre une plume. Ces textes, ces mots, sa poésie avaient une texture, une saveur particulière, très gothique, très lyrique. Tu peux lire Baudelaire dans 100 ans, et ça aura encore du sens. Il utilise beaucoup de termes qui sont intemporels. C’est ce qu’on utilise dans notre musique car on ne te parle jamais de I Phone ou “Phone-tel”, on va te parler d’écran. Je ne te cache pas qu’on a tous une envie secrète dans le groupe qu'internet disparaisse dans 10 ans !!

Même si vous l’utilisez, comme tout le monde. On en a besoin pour communiquer, ne serait-ce que pour parler de votre groupe ou de votre album ?
J: C’est vrai. On ne peut pas s’en passer.
E: J’avais réfléchi à des solutions pour s’en passer… C’est compliqué (rire). Ce n’est pas impossible, mais tu vas évoluer dans une niche de niche, mais aujourd’hui les gens ont l’habitude d’internet. Je n’arrive pas à m’y résigner, même si je n’ai pas le choix. Je voulais acheter un beau téléphone pour pouvoir faire de belles photos, mais je ne l’ai pas fait. Je reste sur mon vieux téléphone… On a une belle image, un bel objet artistique, mais j’aurais aimé ne pas avoir à le montrer sur les réseaux sociaux, mais plus simplement avec les gens et le public en face de nous. 

C'est toujours difficile pour un groupe de se définir musicalement, mais bon, on retrouve beaucoup de touches différentes dans votre musique ?
J: C’est lui qui a tout fait (rire).
E: C’est vrai que sur cette première livraison, j’ai pas mal donné. Mais c’est en train d'évoluer. Les process d’écriture sont en train de changer tout comme l’interaction artistique. Et heureusement. Je suis tellement content d’avoir rencontré Jean Marc parce qu’il me nourrit, et je le nourris d’idées, et c’est très bien. 
J: Sur les nouveaux morceaux, on emmène beaucoup de choses. Pas sur les anciens titres. 
E: Sur les anciens, il y a quand même un travail de structure et de mise en place que vous avez fait. Sinon, sur ce qui nous inspire, je suis autant fasciné par le Junt, le Prog, que du Slipknot ultra viscéral et émotif. Je dirais qu’il y a un mélange entre technique et émotion. Je parle d’émotion dans la rage, pas mélancolique. SouFfre, terre de contraste. Il y a un mélange de rage, mais surtout pas trop de tristesse. 

On ne vit qu'à travers des illusions. On n'a pas la force, voire l'envie d'en sortir ? On se complait de ce système ?
J: Ce n’est pas que les gens n’en ont pas envie, le monde a fait en sorte qu’ils n’en aient pas envie. C’est différent.  
E: Tant qu’il y aura Netflix, il n’y aura pas de révolutions.  
J: Je pense qu’il faut vraiment une raison forte pour que les gens sortent se battre. 
E: Tu regardes les gilets jaunes, 2 ans de manifestations, pas un mort du côté du gouvernement ou de la police. Pourtant, ça a duré 2 ans, et il n’y a pas eu de violences pour aller jusqu’à la rupture. Les Brigades Rouges, dans les années 80, ils n’étaient qu’une quinzaine, mais ils ont foutu un bordel pas possible. 2 millions de personnes qui manifestent pacifiquement n’ont quasiment aucun poids, aucune action sur les dirigeants. Je ne veux pas faire l’apologie de la violence, mais si tu veux du changement, il faut sûrement en passer par là.  Les gouvernements n’ont pas peur, tant qu’ils ne sont pas menacés. Et l’Histoire n’a pas démontré d’autres possibilités. 

Cet EP est le début d'une histoire, car il devrait y avoir un album d'ici quelques mois ?
E: Oui. On travaille dessus. Fin 2024, début 2025, on va proposer d’autres choses. 

Vous avez déjà le matériel pour ?
J: Oui.

On reste dans la continuité de cet EP, ou on part sur autre chose ?
J: Musicalement, cela va être différent, mais la base va rester la même mais avec des éléments nouveaux qui vont arriver au niveau des structures et des ambiances. Ce sera peut être moins “rentre dedans” tout le temps comme actuellement, car pour apprécier la violence de la musique, il faut qu’il y ait des moments calmes aussi.
E: On va peut-être faire rentrer plus de contemplatif en effet. Et on va plus travailler notre identité en termes de textures sonores. Je pense qu’en identité musicale, je parle en notes pures, musique, solfège, on est content. 
La couverture de l'album est superbe. Même en général vous attachez beaucoup d'importance à l'image, que ce soit les photos ou les clips, c'est très important pour vous ?
J: Oui, c’est vrai que c’est important maintenant de proposer quelque chose qui est déjà assez complet, produit. Je me rappelle d’une époque où tu faisais une démo dans ton garage et tu faisais 200 concerts avec (rire). Maintenant, ce n’est plus comme ça. Tu es obligé de proposer des photos, du visuel, des clips. Ta musique, il faut qu’elle soit bien produite, si tu veux avoir une chance d'être pris au sérieux par des professionnels. Tu n’arrives plus dans les maisons de disque, à poil, avec juste ta démo, et on te donne des sous pour faire ta musique et ton clip. Maintenant, tu arrives avec tout, et éventuellement, tu signes avec un label qui va arriver à te dealer autre chose. Il faut que tu arrives avec ton produit présentable. 

Un petit mot sur ce masque qui n'est pas sans rappeler Sauron non ?
J: C’est vrai, maintenant que tu le dis…
E: Ce n’est pas délibérément fait comme ça, c'est que j’ai eu un coup de cœur sur le travail d’une artiste, Marine Arnoul de Martian Agency. J’ai trouvé son travail phénoménal. Et je lui ai dit “ça me parle”, mais je n’avais pas les mots. C’était une émotion. On a bossé ensemble. Je lui ai dit que je voulais quelque chose d’un peu secte, un peu futuriste. Elle m’a proposé ce masque, et j’ai trouvé ça super canon avec ce côté hexagone, un peu Sauron. Ça fait aussi penser à Papa Emeritus de Ghost. 

Pour conclure cette interview: est ce que vos morceaux sont composés pour la scène ou pas forcément ?
J: Disons que pas forcément, mais on essaie de trouver une efficacité pour que les morceaux fonctionnent bien en live. Mais garder quand même un peu de complexité pour l’album. Mais, quand tu vas voir des concerts, ce que tu te rappelles, c’est surtout l’énergie et comment les morceaux fluctuent en eux même.  Quand tu veux faire du live, il faut viser quelque chose de plus efficace et plus simple. 

Merci à vous pour cette interview.
E: Merci à toi.

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L&T le 12.06.2024
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