interview

Arkan
Rencontre téléphonique avec Manu, un des chanteurs du groupe Arkan qui a sorti son cinquième album "Lila H". Ce nouvel opus est sûrement le plus personnel qu'ils ont composé. Un retour sur l'Histoire d'un pays au travers du regard de 2 des membres du groupe. Une superbe réalisation et un album qui comptera dans la vie de Arkan.

L&T: Salut Manu, peux tu nous présenter le groupe Arkan, et tout d'abord pourquoi ce nom, quelle est sa signification ?
Manu: Salut. Alors la signification de Arkan c'est les "fondements", les "piliers". C'est un groupe qui a été créé en 2005 par Foued Moukid qui était alors batteur de The Old Dead Tree dans lequel j'étais chanteur, et il voulait créer un groupe de death métal avec des influences orientales. C'était un projet dans lequel il avait réussi à réunir des musiciens issus des pays de Maghreb et par la suite c'est devenu son projet principal et c'est devenu un groupe avec 5 albums à son actif.

L&T: Comment vous êtes vous rencontrés?
Manu: Alors moi je suis arrivé en cours de route. Je suis arrivé sur l'album précédent "Kelem" en 2016, enfin juste avant l'enregistrement. Je ne connais pas l'historique exact de leur rencontre, mais je pense qu'ils devaient se connaître d'avant car il n y a pas tant de musiciens arabes qui font du métal. Mus et Sam partageaient déjà un groupe en Algérie au tout début des années 2000 et moi je connaissais Foued d'avant et c'est lui qui m'a fait rentré dans Arkan.

L&T: Comment définissez vous votre musique Métal mélodique, Métal oriental, un peu Death mais aussi groovy ?
Manu: Effectivement, c'est un peu tout ça. C'est vrai qu'on a de plus en plus de mal à le définir car le groupe depuis ces années a réussi à trouver sa propre voix, et à créer son propre son. Alors beaucoup beaucoup de Death Métal qui est la base même du son du groupe. Des guitares accordées très très bas, avec des productions très agressives. Cet album là, comme 3 autres albums du groupe, ont été enregistrés par Fredrik Nordström qui est quand même une référence dans le domaine. Et puis, il y a les fameuses influences orientales qui vont se traduire par l'utilisation de gammes orientales, de sonorités en quart de sons. L'utilisation aussi de Oud et de mandoles et d'instruments typiques de là bas qui sont joués par Mus. Et puis il y a un aspect mélodique certain. Il y a toujours un chanteur Death Métal dans le groupe qui est Florent avec une voix bien puissante. Il partageait le chant avec une chanteuse très talentueuse, Sarah, jusqu'en 2016. Et par la suite avec moi qui m'occupe des chants clairs. Il y a vraiment un très très large spectre artistique qui est utilisé par Arkan dans ses compositions.

L&T: Tous vos albums ont une histoire voir même sont l'Histoire avec une grand H, quelle est celle de "Lila H" et pourquoi ce titre ?
Manu: Ca a plusieurs significations. C'est à la fois un prénom féminin, et ça veut aussi dire "adieu", "nuit", et Lila avec le H ça veut dire "au nom de Dieu". Et ce concept album parle de la nuit qui est tombé pendant 10 ans sur l'Algérie pendant les années 90 et cela au nom de Dieu.

L&T: Cet album est même plus qu'une histoire, c'est un témoignage ?
Manu: C'est exactement ça. Ca fait des années que Foued, qui est né en France, et Florent entendaient les anecdotes que racontaient parfois sur un ton badin, Mus et Sam qui parlaient de leurs enfances à Alger à une époque où il y avait des assassinats et des attentats et des menaces extrèmement concrètes tous les jours sur leurs vies ou sur celles de leurs proches. Et ils en parlaient comme des choses presque sans importance, presque normales. Lorsque à la suite de l'album "Kelem" on s'est posé pour discuter de ce que serait l'album suivant, Florent a mis cette idée sur le tapis en leur demandant si on ne pourrait pas parler de cette période là, mais à travers vos yeux et votre vécu. Il y a eu des hésitations de lur part car ce n'est pas évident d'en parler avec des amis et d'en parler au public. Et dès qu'on a eu leur accord, il y a eu un gros travail de retranscription. Florent et moi nous sommes armés d'énormes carnets de notes et on s'est rencontrés à plusieurs reprises avec eux pour ne parler que de ça. On a noté les histoires, les anecdotes, mais aussi comment un pays a pu basculer dans l'horreur. Quels ont été les processus qui ont emmenés à ça. On s'est documenté. On a regardé beaucoup de vidéos, de reportages, documentaires là dessus, pour avoir ensuite le matériau nécessaire à la création du concept: raconter la grande Histoire à travers de petites histoires.

L&T: Musicalement c'est à la fois brut, brutal forcément, mais avec ces touches orientales, on a l'impression que cela atténue cette brutalité ?
Manu: C'est vrai. Déjà il y a énormément d'instruments qui ont été enregistrés, même si ils ne sont pas forcément audibles, ils sont là et participent à cette impression. Mus multiplie les guitares dans tous les sens. Il y a les éléments orientaux et les claviers qui ont été rajoutés. Il y a une grande richesse mélodique dans cet album qui, à mon sens, va permettre aux gens qui nous écoutent de multiplier justement ces écoutes grâce à cette richesse. Et l'aspect oriental vient en opposition au Detah Métal et son côté occidental.

L&T: Vous jouez beaucoup sur les émotions malgré la tragédie. Est ce que tu les sens mélancoliques de ce passé et de cette enfance qui leur a été volée ?
Manu: Non. C'est assez troublant mais eux même n'ont réalisé que plus tard ce qu'ils avaient traversé. Ils étaient très petits quand ça a commencé en 1989 et ils ont grandit dedans. Donc pour eux, c'était la normal. Cette violence là était la normalité. Et quand ils en parlent, ce qui était horrible, c'était pour leurs parents, mais pas peur eux. Leurs parents étaient très inquiets de ce qu'il se passait, de la crise économique, des conditions très difficiles pour élever leurs enfants. Et ils avaient peur pour leur vie. Alors que les gosses s'en fichaient complètement et vivaient leurs vies.

L&T: C'est peut être ça le message d'espoir de cet album ? On peut sortir de tout ça, en gardant en mémoire, mais on peut en sortir ?
Manu: Oui bien sûr. Pour bien les connaître personnellement, dans leurs caractères, il y a une capacité à relativiser les coups durs qui est impressionnante. Et je pense que ça leur vient de là. En écoutant leurs histoires, j'ai pleinement réalisé, car on est de la même génération, qu'on vivait notre vie dans un espèce de cocon de sécurité, avec peut être des choses à Paris, mais sans aucune mesures avec ceux qu'ils vivaient eux quotidiennement.

L&T: Pourquoi avoir fait cet album maintenant ? Il y avait un besoin de faire ressortir tout ça ?
Manu: Eux n'en parlent pas comme ça. Ils n'en ressentaient pas une nécessité. Mais je pense quand même que ça keur a fait du bien.

L&T: Vous avez travaillé comment cet album musicalement ? Chacun de son côté ou bien tout en commun ?
Manu: C'est Mus qui a composé la quasi totalité de l'album. Mais on venait l'accompagner dans son processus. Il est capable de composer 4 chansons en une après midi, mais son côté prolifique contre balance avec un manque de confiance, un besoin d'être guidé, un besoin d'avoir des idées supplémentaires. Et régulièrement, on allait à ses séances de travail pour lui dire quoi garder etc etc. Je vais te dire que pour un album de 12 titres il a peut être composé le triple de chansons. Il est vraiment très prolifique.

L&T: Ca allait être ma prochaine question le nombre de titres composés.
Manu: C'est énorme. Et il y a pleins d'idées qui au final ne deviennent pas des morceaux. Il y a des riffs qui vont bien s'assembler pendant 1 ou 2 minutes, mais au final on abandonnera le truc. Ou alors des morceaux tellement retravaillés qu'à la fin, ils s'éloignent trop du thème proncipal. Ce que je peux te dire c'est que si on était rentré en studio un mois plus tard, je pense que l'album aurait sûrement été différent. Il y aurait pu y avoir une substitution sur 2 titres ou des changemlent s d'arrangements complets sur la moitié de l'album. C'est un processus qui est très mouvant et très vivant.

L&T: Et pour les textes c'est Florent et toi ?
Manu: On a eu la mission ardue de prendre toutes les histoires et les anecdotes de nos amis et d'en faire des chansons. Et là, on s'est retrouvé avec pleins de règles à suivre et à respecter et c'était très difficile parfois. Une chanson il faut qu'elle sonne et il faut qu'on utilise des mots qui ont un rendu mélodique. Il faut que ce soit mélodieux et que tout aille bien ensemble. On ne peut pas juste raconter une anecdote en utilisant les mots bruts. Il a fallu qu'on retravaille tout ça. Il a fallu qu'on se mette quelques fois à la place des protagonistes, ou qu'on en invente un qui voit la scène de l'extérieur pour pouvoir raconter cela avec un regard intéressant. Et en même temps, il ne fallait pas trahir leur récit. Il fallait réussir à créer des histoires qui puissent être comprises et qui puissent être intégrées par des gens qui n'ont absolument pas vécu ça. Mais tout en faisant des morceaux qui vont être écoutés par des fans de Arkan en Algérie et qui eux doivent se sentir représentés par ce qu'on a fait. Donc beaucoup d'objectifs différents mais qui devaient concorder.

L&T: Est ce que "My Son" le clip est représentatif de l'album ? Avec cette angoisse permanente, mais cette envie de vivre malgré tout ?
Manu: C'est vrai qu'il est représentatif. "My Son" est quelque chose qui est arrivé à Mus. Il avait une douzaine d'année et la tension montait vraiment dans le pays et il commençait à y avoir des meurtres et des exactions. Il y avait déjà eu des mouvements de foule, et le père de Mus l'avait pris à part et lui avait "Si tu constates quoi que ce soit dans la rue, un bruit ou n'importe quoi, tu cours. Tu rentres à la maison, tu fermes les volets et tu te mets entre les murs porteurs de la maison". Et ça me touche beaucoup. Je suis père, et je me mets à la place de cet homme là qui a dû dire ça à son gamin. Ils ont traversé une drôle d'époque.

L&T: Avec l'époque dans laquelle on est, tu penses qu'il serait envisageable de faire un concert acoustique de cet album, ou bien il faudrait la puissance du son ?
Manu: Je pense que c'est envisageable car Mus est talentueux et complètement fou. Le connaissant et pour avoir vu des adaptations qu'il a fait en acoustique des morceaux de Arkan, ça sonnerait extrèmement différent. Ce serait une relecture complète de ce qui a été fait. Contrairement aux groupes de métal, Arkan joue sur des guitares 7 cordes sous accordées, très très loin des guitares acoustiques. Il faudrait tout revoir.

L&T: Vous avez fait une présentation de votre album en vidéo. C'est prenant et très touchant. Comment vous est venue cette idée de présenter votre album de cette manière ?
Manu: On s'est dit que ce serait une bonne chose. Ne serait ce que pour nous, pour nous poser, pour réfléchir à tout ce qu'on a traversé pour faire cet album là. Expliquer le processus. On a trouvé intéressant d'expliquer, nous, aux gens sans forcément passer par un média, quel avait été le but de cet album.

L&T: On revient sur Frederik Nordstrom. Sans lui l'album n'aurait pas sonné et pas eu la force qu'il a ?
Manu: Il aurait sonné différemment. Le groupe a déjà enregistré plusieurs albums avec lui avant que je ne l'intègre, et j'avoue que pour moi, c'était un petit rêve que d'aller enregistrer avec ce monsieur. Il a quand même produit des albums de mes groupes préférés comme Opeth, At The Gate entre autres et donc j'avais un petit peu peur. Il est très sympa dans la vie, et très exigeant dans le travail. J'étais quand même content d'avoir un peu d'expérience avant d'aller en cabine d'enregistrement avec lui. Il faut quand même savoir ce qu'on vaut car sinon on a vite fait de se décourager. En tous cas, c'était une sacrée expérience. Ca a été très formateur et j'ai beaucoup appris.

L&T: Forcément, cela vous a fait progresser dans votre approche de la musique.
Manu: Bien sûr. Et puis il a une manière très "brut" de parler. Quand tu enregistres, il n'y a pas trop de fioritures. Tu recommences, tu la refais, celle là non, celle oui. Même dans son approche du mixe. Quand tu es musicien, souvent tu arrives avec pleins d'idées, et lui, il va t'aider à faire le tri. J'avais un morceau où il y avait 16 choeurs et finalement, il n'y en a plus que 4. Il va à l'essentiel, et surtout il sait ce qui va servir ou pas le son. Et comme il y a une relation de confiance qui s'est établie entre le groupe et lui, tout le monde sait exactement comment il faut travailler.

L&T: Est ce que tu pourrais définir le groupe en 2 ou 3 mots ?
Manu: Ce qui définit le mieux Arkan c'est l'ouverture d'esprit. Un groupe qui est entre 2 univers complètement différents, avec des membres qui ont grandi sur 2 continents différents, et des cultures elles aussi, complètements différentes. Et le tout donne un mélange assez unique. Des groupes de métal oriental il y a en a d'autres qui font un travail fantastique, que ce soit Myrath ou Acyl par exemple. Mais Arkan a une patte et un style qui lui est propre.

L&T: Et la dernière question qui est plus personnelle, quel est le dernier album ou le dernier morceau que tu as écouté ?
Manu: Ca fait plusieurs écoutes que je fais d'un EP d'un groupe français qui s'appelle Maudits et qui se qualifie de "Post Doom Instrumental". Et franchement, c'est un super travail et je trouve que c'est difficile de faire un album instrumental. Il faut arriver à garder l'auditeur concentré et éveillé sur sa musique et ils ont vraiment réussi le pari. C'est une très belle production et un super projet.


L&T le 25 Novembre 2020
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